Avant la tenue de la COP 10 antitabac de l’OMS, des associations du monde entier écrivent au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains pour qu’il intercède en faveur d’une reconnaissance du droit à la réduction des risques contre le tabagisme
Un courant balaie le monde pour rogner le droit humain fondamental de pouvoir protéger sa propre santé. Dotés de milliards et de réseaux médiatiques imposant, les intérêts financiers opposés au droit à la réduction des risques influencent aussi fortement la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui va tenir sa 10e convention (COP10) en novembre au Panamà.
Alors que le texte fondateur de la CCLAT consacre la réduction des risques comme un élément fondamental de la lutte antitabac, ce courant tente de faire interdire, ou à défaut d’entraver, le droit d’utiliser des outils de réduction des risques. Selon le décompte de l’OMS, il y aurait déjà 34 pays empêchant la possibilité d’arrêter de fumer avec le vapotage.
La lettre ouverte au Haut-Commissaire aux droits humains de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont la traduction en Français suit, est née de l’initiative d’associations de pays dits à faibles ou moyens revenus. SOVAPE la cosigne, non seulement par solidarité avec les personnes frappées par cette régression des droits en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie, mais aussi parce que de toute évidence, le terrible recul qui s’y déroule s’étend de plus en plus aux pays dits à hauts revenus, y compris en Europe.
Le déni du droit à protéger sa propre santé par le recours à des moyens à risque réduit pour éviter de fumer est une régression majeure des droits humains. Le danger ne concerne pas seulement les fumeurs qui seraient condamnés à la cigarette, mais l’ensemble de la société à travers la négation d’un droit personnel fondamental qui pourrait servir de matrice à d’autres domaines.
Pour lire la lettre originale en anglais (pdf) : Open Letter to the UN High Commissioner for Human Rights-3
***
Lettre ouverte au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme en relation avec la dixième session de la Conférence des Parties (COP10) à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (20-25 novembre 2023)
16 Octobre 2023
Cher Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme M. Volker Türk,
Le tabagisme est la principale cause évitable de maladies et de décès. Selon l’OMS, le tabagisme tue plus de 8 millions de personnes chaque année, dont 1,3 million de non-fumeurs exposés à la fumée secondaire, et il constitue un facteur de risque majeur pour les maladies non transmissibles.
La clé pour aborder cette question est de garantir le « droit à la santé » à tous les citoyens
Le droit à la santé est reconnu et consacré dans plusieurs traités et documents des Nations Unies, ainsi que dans la Constitution de l’OMS et sa Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT). Il est central pour le droit à la santé de permettre aux adultes qui fument d’accéder à des alternatives plus sûres au tabagisme, car nul ne peut atteindre le niveau de santé le plus élevé possible s’il ne dispose pas de la capacité de contrôler sa propre santé et son corps, à l’abri de toute ingérence. Le droit à la santé est également étroitement lié au droit à l’information, c’est-à-dire le droit d’accéder à des informations fiables et appropriées permettant de faire des choix éclairés.
Lorsque les adultes qui fument passent à des alternatives plus sûres au tabagisme, ils réduisent les dommages causés par le tabagisme. Par conséquent, de telles décisions sont des expressions légitimes du droit à la santé. Encourager la réduction des méfaits aide les personnes à prendre des mesures positives pour protéger leur santé, tout en respectant leurs libertés et leurs droits.
L’approche de la réduction des méfaits en matière de consommation de drogues est déjà reconnue par le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies comme une « obligation » relevant du droit à la santé. Cependant, cela n’est pas le cas pour la réduction des méfaits en matière de tabagisme. En mettant en place des politiques qui empêchent l’accès à des alternatives plus sûres au tabagisme, les gouvernements violent le droit à la santé et rendent la santé publique mondiale moins équitable.
La « contribution de la CCLAT de l’OMS à la promotion et à la réalisation des droits humains » sera discutée lors de la dixième session de la dixième Conférence des Parties (COP10) en novembre [1]. Cela offre l’occasion de reconnaître de manière incontestable la réduction des méfaits en matière de tabagisme comme une stratégie légitime et fondée sur des données probantes.
La réduction des méfaits en matière de tabagisme et l’expérience de la Suède
En pratique, la réduction des méfaits en matière de tabagisme signifie donner aux personnes qui fument accès à des produits nicotiniques alternatifs plus sûrs pour les aider à réduire leur risque personnel, comme la Suède l’a fait pour atteindre son taux actuel de prévalence du tabagisme de 5,6% [2]. En d’autres termes, pour devenir « sans fumée ».
La Suède a pleinement adopté les mesures découlant de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), y compris les dispositions de son article 1 (d), qui précise que » On entend par “lutte antitabac” toute une série de stratégies de réduction de l’offre, de la demande et des effets nocifs visant à améliorer la santé d’une population en éliminant ou en réduisant sa consommation de produits du tabac et l’exposition de celle-ci à la fumée du tabac » (notre emphase). La Suède a mis en place un cadre réglementaire complet et des programmes d’éducation axés sur la prévention et le sevrage tabagique. Elle a également rendu les produits nicotiniques alternatifs plus sûrs accessibles et abordables, et a autorisé leur utilisation pour les personnes qui fument afin de les aider à arrêter de fumer et à s’en éloigner.
Selon nous, il est essentiel de fournir aux fumeurs des informations précises sur les risques relatifs de l’utilisation de produits nicotiniques alternatifs plus sûrs par rapport au tabagisme, ainsi que sur leur efficacité, afin de réduire les méfaits liés à fumer. Par exemple, la revue Cochrane de 2022 sur le vapotage pour arrêter de fumer a montré que la vape avec nicotine aide davantage de personnes à arrêter de fumer à six mois ou plus que les substituts nicotiniques pharmaceutiques [3]. Cochrane est un réseau mondial indépendant de chercheurs, de professionnels de santé, de patients et de personnes intéressées par la santé, qui rassemble toutes les preuves de haute qualité disponibles sur des sujets de santé spécifiques et les résume dans des revues Cochrane. Les revues Cochrane sont largement considérées comme la référence en matière de recherche médicale fiable et de qualité, en raison de leur portée, de leur rigueur et de leur indépendance vis-à-vis de tout financement commercial ou en conflit d’intérêts.
Il est donc préoccupant que, lorsqu’on interroge l’OMS sur l’approche réussie de réduction des méfaits de la Suède, elle préfère citer le Turkménistan comme un pays faisant davantage de progrès dans sa quête d’un pays « sans fumée » [4]. Considérer le Turkménistan comme un modèle pour le reste du monde est profondément problématique. Des préoccupations sérieuses liées aux droits de l’homme existent au Turkménistan. Le pays est décrit comme un État totalitaire, où aucun parti d’opposition n’est autorisé et où les citoyens subissent une répression systémique. Les femmes sont interdites de s’asseoir à l’avant d’une voiture et de porter des extensions de cils ou d’ongles. Le journalisme indépendant est pratiquement inexistant, et la collecte de données est insuffisante au point que le Turkménistan a été le seul pays souverain au monde à ne signaler aucun cas de COVID-19, malgré les rapports des médias internationaux faisant état de la surcharge des hôpitaux du pays par des patients présentant des symptômes similaires à ceux du COVID.
À la différence du Turkménistan, la Suède est un pays démocratique qui dispose de pratiques excellentes en matière de collecte de données, démontrant une baisse constante du tabagisme. Les avantages de la réduction des méfaits en Suède se manifestent par une incidence significativement plus faible de maladies et de décès liés au tabac. La Suède présente un taux de décès dus à toutes les maladies liées au tabac inférieur de 39,6 % à la moyenne des pays de l’Union européenne, où la prévalence de la consommation de tabac est en moyenne de 23 %. Cette différence s’explique par le fait que la plupart des utilisateurs de tabac en Suède ne fument pas, mais consomment du Snus, une alternative plus sûre.
Réduction des méfaits liés au tabagisme et droit à la santé
Ainsi, la réduction des méfaits liés au tabagisme est totalement conforme au droit à la santé. L’OMS reconnaît à la fois le concept et l’objectif de la réduction des méfaits. Les stratégies de réduction des méfaits sont soutenues par un poids de preuves scientifiques montrant que les produits nicotiniques de substitution plus sûrs sont des outils efficaces pour aider les fumeurs à arrêter de fumer et à s’en éloigner, comme le montre un aperçu qui accompagne cette lettre.
Par conséquent, les stratégies de réduction des méfaits soutenues par le gouvernement ne devraient pas être simplement un « plus », mais obligatoires dans le cadre du droit à la santé.
Vos prédécesseurs ont reconnu l’importance d’une approche de réduction des méfaits en ce qui concerne les drogues illicites. Nous vous exhortons à faire de même en ce qui concerne le tabagisme, et à prendre la tête de cette approche en tant que question de droits humains et priorité de santé publique. Cela devrait inclure :
- Encourager l’OMS à reconnaître la réduction des méfaits liés au tabagisme comme une stratégie légitime et fondée sur des preuves, en particulier dans le cadre de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) et de ses lignes directrices de mise en œuvre ;
- Encourager l’OMS à revoir sa position sur les produits nicotiniques alternatifs plus sûrs en se basant sur les dernières preuves scientifiques et empiriques ;
- Encourager et soutenir les Nations Unies et les États membres de l’OMS à adopter des politiques et des programmes de réduction des méfaits liés au tabagisme de manière conforme au droit à la santé et aux droits humains.
- Encourager la CCLAT de l’OMS à accueillir la participation de groupes de consommateurs lors de sa COP10 et à les inviter à partager leur expérience de passage du tabagisme à des produits nicotiniques de substitution plus sûrs.
- Avoir une représentation du Bureau des droits humains des Nations Unies lors de la COP10 de la CCLAT de l’OMS.
Nous espérons que vous prendrez notre lettre au sérieux. Nous sommes prêts et disposés à travailler avec vous et votre bureau sur cette question d’intérêt mutuel, et nous croyons qu’ensemble, nous pouvons faire la différence en sauvant des vies et en améliorant les résultats en matière de santé pour des millions de personnes qui fument dans le monde.
Sincèrement,
Les associations signataires :
ASOVAPE Colombia, ASOVAPE Chile, Association de reducción de daños por tabaquismo IberoAmérica (ARDT), ASOVAPE Perú, ASOVAPE Argentina, Coalition of Asia Pacific Tobacco Harm Reduction Advocates (CAPHRA), ASOVAPE Costa-Rica, ASOVAPE Ecuator, Mexico y el mundo vapeando, Association de reducción de daños por tabaquismo Panamá (ARDTP), Tobacco Harm Reduction Brasil, ASOVAPEPY Paraguay, Asociación española de usuarios de vaporizadores personales (ANESVAP), Tobacco Harm Reduction Association of Canada, International Network of Nicotine Consumer Organisations (INNCO), Ends Cigarette Smoke Thaïland (ECST), Association of Vapers India, Pro-Vapeo Mexico, Vaping Saved My Life (VSML, Afrique du Sud), Alianza por la libertad del Vapeo A.C. (AllVape, Mexique), New Nicotine Alliance UK, CASAA (USA), AVCA (New-Zealand), New Nicotine Alliance Ireland, Campaign for Safer alternatives Africa, Asociata consumatori de produse alternative de nicotina (ACPAN – Romania), NIKAN (Norway), BVRA (Germany), SOVAPE (France), Association Indépendante Des Utilisateurs de Cigarette Electronique (AIDUCE, France), Villanypára Egyesület Vaper (Hongrie), Associazione Nazionale Per i Vapers Uniti (ANPVU, Italie), DADAFO (Danemark), Direta (Diretório de Informações para Redução dos Danos do Tabagismo, Brésil), Turkish Vapers’ Alliance (Turquie), Vaporaqui (Brésil), KVA (Corée), Ohms Do Vapor (Portugal), Aporvap (Portugal), We Vape (UK) , Tobbaco Harm Reduction Nigeria, KAV (Bulgarie), Vapeteka (Kazakhstan), Vape Taïwan, Taiwan Tobacco Harm Reduction Association (TTHRA), Foundation for a smoke-free Taïwan, Nicotine Taster Taïwan (NTT), Alliance of Banning Cigarette Taiwan (ABC), Acvoda (Pays-bas), Rights 4 Vapers, Malaysian Vapers Alliance.
Documents en complément :
- Addressing common myths about vaping – Putting the evidence in context, un document revu par des universitaires et des cliniciens experts en matière d’addiction, de techniques de changement de comportement, de cigarettes électroniques, de sevrage tabagique et de lutte antitabac, d’épidémiologie, de santé mentale et d’inégalités en matière de santé, ainsi que de médecine respiratoire et de soins intensifs. Cette note a été publiée par Action on Smoking and Health (ASH), une organisation caritative indépendante de santé publique créée par le Royal College of Physicians pour mettre fin aux méfaits du tabac.
- Balancing Consideration of the Risks and Benefits of E-Cigarettes, article co-écrit par quinze anciens présidents de la Société de recherche sur la nicotine et le tabac (SRNT) et publié dans l’American Journal of Public Health.
Notes :
[1] Convention Secretariat, Provisional agenda for COP10 of the WHO FCTC, available at https://storage.googleapis.com/who-fctc-cop10-source/Main%20documents/fctc-cop10-1-en.pdf
[2] Folkhälsomyndigheten, Adults’ use of tobacco and nicotine products (2023), available at https://www.folkhalsomyndigheten.se/livsvillkor-levnadsvanor/andts/utveckling-inom-andts-anvandning-och-ohalsa/anvandning/anvandning-av-tobaks-och-nikotinprodukter/vuxnas-bruk-av-tobaks–och-nikotinprodukter/
[3] Hartmann-Boyce et al., Electronic cigarettes for smoking cessation, Cochrane Database of Systematic Reviews (2022), available at https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD010216.pub7/full
[4] Pele and Ritter, Sweden close to becoming first ‘smoke free’ country in Europe as daily use of cigarettes dwindles, The Associated Press (2023), available at https://apnews.com/article/smoking-cigarettes-snus-sweden-7e3744800a4714bdee4bcb1736983586