REF : #1 • JANVIER 2020 | VERSION.PDF

Un milliard d’êtres humains mourront du tabagisme au 21ème siècle, si rien ne change, selon les prévisions de l’OMS. SOVAPE s’est penché sur la prise en compte de la réduction des risques et des Droits humains par l’organisation Onusienne dans sa mission de lutte anti-tabac.

OMS et CCLAT

A l’origine, la création de la Convention Cadre de l’OMS pour la Lutte Anti-Tabac (CCLAT) a été une grande avancée de santé publique. Le « premier traité international négocié sous les auspices de l’Organisation mondiale de la Santé » est entré en vigueur en 2005. Sa gouvernance est assurée par les États signataires et l’action est dirigée par le Secrétariat de la Convention, qui « fait figure d’autorité mondiale en matière de mise en œuvre de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac » [1]. Tous les deux ans la Conférences des parties (COP), organe directeur de la Convention, se réunit dans l’un des États signataires. La 9e édition se déroulera aux Pays-Bas vers la fin de l’année 2020 [2].

Le département « Prévention des maladies non transmissibles » [3] de l’OMS prend sa part dans la lutte contre le tabagisme avec l’équipe « Initiative pour un monde sans tabac » [4] à l’origine du programme de mesures « Mpower » [5] (Monitor, Protect, Offer, Warn, Enforce, Raise).

Il n’est pas toujours simple pour un non initié de distinguer les différentes instances et sous-groupes dont émanent les communications. Ainsi, ce qui est parfois rapporté comme une recommandation ou une position de l’OMS sur les questions du tabac ou du vapotage peut être un rapport ou un document préparatoire des décisions. Des négociations entre les états membres ont lieu avant et pendant les COP avant qu’une décision y soit arrêtée.

UN RAPPORT SOUS INFLUENCE

Le rapport sur l’épidémie mondiale de tabagisme publié à l’été 2019, connu sous le nom de rapport MPOWER, est financé tous les deux ans par la fondation privée Bloomberg Philanthropies. Cette information bien lisible sur la publication n’a pas été relevée par les médias qui ont relayé le rapport. Pour de nombreux observateurs, c’est un signe qui interroge sur l’indépendance des rédacteurs. Rappelons ici que Michael R. Bloomberg, candidat à la présidence des États-Unis, a investi 160 millions de dollars [6] dans une campagne contre le vapotage aux États-Unis.

Dans la conférence de presse de présentation du rapport à Genève le 26 juillet, Vinayak Mohan Prasad, l’un des trois superviseurs, précédemment haut-fonctionnaire indien, insistait sur les risques liés au vapotage et sa préférence pour son interdiction pure et simple [7].

VAPOTER « POURRAIT ÊTRE PLUS DANGEREUX » QUE FUMER

L’OMS a publié le 20 janvier sur son site, un « Q&A » (Question/Réponse) [8] sur la « cigarette électronique », doublée d’une campagne sur les réseaux sociaux [9-10-11] et repris par la presse [12].

En dépit de nombreux rapports scientifiques, et particulièrement ceux du Public Health England [13], du Royal College of Physicians [14] et de la National Academie of Science américaine [15], l’OMS laisse entendre que le vapotage « pourrait être plus dangereux » que fumer.

Les auteurs imputent la vague de pneumopathies de l’été 2019 aux États-Unis aux « ENDS » (Electronic Nicotine Delivery System), bien que les autorités américaines aient officiellement établi le lien avec des produits du marché noir du THC frelatés à la vitamine E [16].

Sans fondement, les rédacteurs accusent les liquides de vapotage de brûler la peau, d’être inflammables et de contenir de l’antigel. Sans mesure d’échelle de risques, ils évoquent toxicité et empoisonnement.

L’OMS affirme , sans présenter d’éléments scientifiques, une augmentation des risques cardio-vasculaires, pulmonaires, pour les fœtus et pour l’entourage des vapoteurs. Enfin, elle ignore les données de population et les résultats des études cliniques sur l’arrêt tabagique à l’aide du vapotage [17].

Le Pr John Britton, directeur du Centre for Tobacco & Alcohol Studies de l’Université de Nottingham (UK) a réagi [18] : « Ce texte de l’OMS est trompeur à plusieurs titres. Il prétend que le vapotage de nicotine est la cause de la vague de maladie pulmonaire aiguë aux États-Unis en 2019, alors qu’il s’agissait en fait du vapotage de produits au cannabis [frelatés]. Il indique qu’il n’y a aucune preuve solide que le vapotage soit un moyen efficace d’arrêter de fumer, alors qu’en fait, il existe des preuves d’essais cliniques du plus haut niveau démontrant que le vapotage est plus efficace que les thérapies de remplacement de la nicotine approuvées par l’OMS. Il répond à la question de savoir si les cigarettes électroniques sont plus dangereuses que les cigarettes de tabac en suggérant que nous ne savons pas, alors qu’en fait elles sont clairement moins nocives. De cette manière, l’OMS fausse les preuves scientifiques disponibles ».

LA CCLAT EN CONTRADICTION AVEC SES PROPRES PRINCIPES.

La lutte anti-tabac telle que définie au 1er article point d. de la CCLAT intègre la poursuite de « stratégies de réduction des risques ». La direction et le secrétariat de la CCLAT écartent cette approche, malgré les demandes de nombreux experts de lutte anti-tabac [19]. La brésilienne Dr Vera Luiza da Costa e Silva, alors Cheffe du Secrétariat de la CCLAT avait ainsi déclaré le 13 septembre 2019 [20] : « le vapotage n’est que le camouflage perfide et parfumé d’un désastre sanitaire prêt à s’abattre si aucune action n’est entreprise dès maintenant ».

L’article 5.3 de la CCLAT exige que les États protègent leur politique « des intérêts commerciaux de l’industrie du tabac », mais sa mise en application ne parait pas cohérente :

La dernière COP 8 à Genève était présidée par Preeti Sudan [21], membre d’un gouvernement Indien qui détient des parts de capitaux de cigarettiers (ITC Ltd notamment), une violation manifeste de l’article 5.3.

Les influences de la Thaïlande, propriétaire du Monopole du Tabac Thaïlandais, et du Brésil, pays détenant le record de balance commerciale excédentaire liée au tabac, posent question concernant l’indépendance et la probité de la gestion et des décisions de la CCLAT.

OPACITÉ ET CONFLITS D’INTÉRÊTS

L’opacité dans laquelle évolue la CCLAT, cultivée par le Secrétariat, suscite de lourdes inquiétudes. Journalistes, public et organisations indépendantes d’usagers et de patients sont interdits d’entrée des COP et exclus de l’ensemble de ses activités. Pourtant, seule une transparence pourrait garantir au public un contrôle démocratique et déontologique des actions et des décisions de l’organisation.

Le fonctionnement de la CCLAT ne respecte pas le principe de participation effective et concrète de la communauté concernée, établi par la Charte d’Ottawa de l’OMS [22] en 1986 et de la déclaration de Jakarta de 1997 [23].

La présence massive de lobbyistes, constatée par nos observateurs [24] à la dernière COP8 à Genève, ne rassure pas. Selon le New York Times, Matthew Myers, président de Campaign For Tobacco Free Kids, ressortissant américain (pays qui n’a pas ratifié la CCLAT), détenant un statut de simple observateur « a participé au long débat sur le vapotage » [25]. Il officiait également sur un stand sponsorisé au sein de l’enceinte du Sommet pour une grande marque pharmaceutique.

Le financement massif de l’équipe « Initiative pour un monde sans tabac » de l’OMS par diverses organisations privées, dont la nature des intérêts [26] ne peut être connue du public, interroge également. Même Margaret Chan, ancienne directrice de l’OMS, déclarait le 6 décembre 2012 [27] : « les pratiques financières actuelles font de l’OMS une organisation fondée sur les ressources et non sur les résultats. L’argent dicte ce qui est accompli ».

DROITS HUMAINS

La lutte contre les méfaits du tabagisme est un enjeu majeur de santé publique et de bien-être des populations. Pourtant, des responsables de l’OMS ne s’embarrassent pas des Droits de l’Homme quand il s’agit de politiques anti-tabac. Les exemples sont nombreux, en voici parmi les plus récents :

Philippines : encouragement à un régime despotique et sanguinaire

Le 10 décembre 2019, Ranty Fayokun, représentante de l’OMS, participait à une audition de la Commission économie du Congrès philippin [28]. Sa présentation [29] contenait des documents faux, désignés comme véridiques, notamment un bébé ainsi que le personnage de dessins animés « Dora l’exploratrice » en train de vapoter. Pour tenter de convaincre les élus philippins d’interdire le vapotage dans le pays, Ranty Fayokun a relié le vapotage nicotiné aux victimes de pneumopathies aux États-Unis. En réalité, le Center for Disease Control (CDC) a établi le lien avec des produits frelatés à la vitamine E du marché noir du THC.

Au-delà des principes de déontologie auxquels devrait se soumettre tout représentant de l’OMS, il est important de rappeler le contexte aux Philippines. En effet, le président Rodrigo Duterte a récemment déclaré vouloir « tuer cette pute de vapoteur » [30] et a demandé à sa police d’arrêter les vapoteurs. Pour rappel en 2016, ce dictateur sanguinaire avait ordonné le massacre des toxicomanes [31], ce qui avait déclenché dans le pays des tueries en masse, exécutions sommaires et lynchages qui ont fait plus de 30 000 victimes [32] d’après les observateurs. Ce qui n’avait pas empêché la Dre Vera Luiza da Costa e Silva, cheffe du secrétariat de la CCLAT, de féliciter publiquement [33] Rodrigo Duterte d’interdire le tabagisme dans l’espace public.

Les conditions d’application d’une prohibition du vapotage aux Philippines feraient craindre le pire pour la vie des vapoteurs.

Inde : soutien à la prohibition du vapotage

L’influence de l’Inde sur la politique tabac de l’OMS pose question. En effet, 3e producteur mondial [34] et actionnaire des compagnies de tabac, et alors qu’il conserve la vente des produits de tabac légale, l’État indien profite directement de la prohibition récente du vapotage [35]. Celle-ci viole le droit des consommateurs de tabac à la réduction des risques pour leur santé. En l’absence de protection de l’usage personnel, des arrestations et des incarcérations ont déjà eu lieu [36].
Le gouvernement indien et notamment le ministre de la Santé [37] se sont référés à plusieurs reprises aux documents de l’OMS et des positions de la CCLAT pour justifier la décision d’interdiction.

Thaïlande : soutien à la prohibition et à la répression

Le régime militaire thaïlandais a instauré la prohibition du vapotage depuis 2014. Il y a eu depuis dans le pays de nombreuses arrestations [38] et incarcérations [39] de Thaïlandais et de touristes dans des conditions de détention irrespectueuses de la dignité humaine.

Alors que cet état possède le Monopole du tabac thaïlandais, le Secrétariat général de la CCLAT a adressé ses félicitations au régime pour la prohibition du vapotage. Cette attitude est contraire aux objectifs initiaux de la CCLAT, aux principes des Droits humains et, de l’avis de nombreux observateurs, totalement indécente.

Corée du Nord, l’exemple à suivre

Le Dr Jagdish Kaur, référente OMS sud-est asiatique [40] du programme « Initiative pour un monde sans tabac », recommandait aux pays de la région de « suivre l’exemple » de la Corée du Nord et de la Thaïlande qui avaient déjà interdit la vape. Ces propos publiés dans la revue de santé publique indienne (Indian Journal of Public Health) [41] témoignent de la faible considération pour les Droits Humains de certaines branches de l’institution onusienne.

L’avis de SOVAPE

Si la CCLAT a permis des avancées en matière de lutte contre le tabagisme, il n’en est pas moins inquiétant de constater certaines dérives : manque de transparence sur le fonctionnement et les financements, orientations en contradiction avec les principes fondateurs de l’institution et des Droits humains fondamentaux.

En tant qu’association issue de la société civile, et engagée dans la réduction des risques, SOVAPE observe avec attention les politiques de lutte contre le tabagisme. À la lumière des faits évoqués, nous estimons indispensable que l’OMS revienne à ses valeurs. Ses responsables doivent faire preuve de discernement et cesser les prises de position qui peuvent nuire. L’OMS doit respecter les Droits humains, la CCLAT doit s’emparer enfin du principe de réduction des risques, inscrit dans sa charte fondatrice.

La 9e Conférence des parties de la CCLAT se réunira à la fin de l’année 2020 aux Pays-Bas, lieu et dates précises sont pour le moment gardés secret par le Secrétariat de la CCLAT. La société civile doit s’organiser urgemment pour alerter les autorités politiques. Les signataires du traité doivent dès maintenant se responsabiliser pour recadrer ces activités de l’OMS.

Compte tenu du contexte exposé, SOVAPE espère vivement que la délégation française y défendra avec vigueur les principes de lutte anti-tabac, de réduction des risques, de participation des communautés concernées édictés par la Charte d’Ottawa de 1986 et la Déclaration de Jakarta de 1997.

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