Communiqué du jeudi 11 octobre 2018

Nos observateurs ont constaté des violations des droits fondamentaux et des principes même de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac durant le sommet de l’OMS à Genève.

Communiqué conjoint des associations francophones Aiduce, Helvetic Vape, ACEAF et Sovape après la 8è Conférence des parties (COP8) anti-tabac de l’OMS qui se tenait du 1er au 6 octobre 2018 à Genève.

Des représentants de nos associations* étaient présents à Genève pour observer le déroulé du sommet de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac (CCLAT, ou FCTC en anglais) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Nous avons tenté d’informer et discuter avec des délégués à propos des droits des usagers et de l’opportunité de santé publique que représentent les moyens de réduction des risques, en premier lieu le vapotage, face au tabagisme.

Voici en bref, nos observations de cette semaine :

L’exclusion des principaux concernés

• En 1986, l’OMS publiait la charte d’Ottawa stipulant que la « promotion de la santé passe par la participation effective et concrète de la communauté à la fixation des priorités, à la prise des décisions et à l’élaboration et à la mise en oeuvre des stratégies de planification en vue d’atteindre une meilleure santé ». En 1997, la déclaration de Jakarta a confirmé et renforcé l’importance de la participation du public, et en particulier des publics directement concernés, aux processus de décision afin de ne pas leur imposer des mises en œuvre de politique de santé.

Nous constatons que les principes et valeurs aux cœurs de ces déclarations ont été ignorés durant cette semaine par la COP8 de la CCLAT où aucun représentant des usagers, y compris des usagers des moyens de réduction des risques, n’a pu participer, être entendu, ni même observer les débats.

• En séance d’ouverture de cette COP8, le Canada a demandé un meilleur respect du principe démocratique de transparence à l’égard du public et des médias. Sa proposition a été rejetée sous la pression de pays connus pour leur peu de respect démocratique et leur lien économique avec la production de tabac, à l’image de la Thaïlande. Les délégations française et de l’Union Européenne n’ont pas brillé par leur respect du droit fondamental à l’information du public ni de la défense de la transparence des institutions, outil majeur contre la corruption.

• La Convention a tout de même accepté de retransmettre les séances plénières en streaming avec un décalage de quelques minutes. Lors de la retransmission du lundi 1er octobre après-midi près d’un quart d’heure de cette retransmission a été coupée. Pile au moment du débat sur la demande de statut d’observateur d’INNCO, réseau international des organisations de consommateurs de nicotine à risque réduit. Nous sommes très suspicieux sur la raison de cette coupure. Le Secrétariat de la CCLAT a-t-il des choses à cacher sur ce dossier ? Aucun éclaircissement ni explication n’ont été présentés, au moment où nous écrivons ces lignes plus d’une semaine après.

L’industrie tabagique d’État au sein de la CCLAT

• L’article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac engage les parties à se prémunir de l’influence des intérêts de l’industrie du tabac. La présence d’un membre d’une entreprise cigarettière comme Présidente de la COP8 elle-même illustre l’absence totale de respect de ce principe au sein même de la Convention. L’État Indien détient 32 % du capital de l’Indian Tobacco Company (ITC), l’entreprise qui produit 80 % des cigarettes vendues en Inde. Comment Mme Preeti Sudan, employée de l’État indien, peut-elle être libre de conflit d’intérêt sur le sujet dans ces circonstances ? Des conflits d’intérêts manifestes du même ordre se posent pour plusieurs autres délégations.

• La présence « d’events » financés par des firmes multinationales du secteur pharmaceutique à l’intérieur du Centre des congrès abritant la Convention nous semble inappropriée. L’industrie du médicament a de manière évidente des intérêts particuliers non concordants avec ceux de santé publique sur le sujet.

• Des organisations ayant le statut d’observateurs dénoncent les manœuvres des lobbys cigarettiers au sein de la Convention. Malgré la grande opacité de l’événement qui ne nous a pas permis de nous assurer des choses, plusieurs indices et rumeurs troublantes nous amènent à prendre en considération ces dénonciations. L’interdiction faite au public, aux médias indépendants et aux représentants d’associations d’usagers de pouvoir observer le déroulement de la Convention favorise ce climat d’intrigues, de manipulation et du grand malaise que nous ressentons. A la sortie de cette semaine, nous ne sommes plus en mesure d’accorder notre confiance de citoyens concernant la probité, l’indépendance et la défense des intérêts de santé publique à la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac (CCLAT).

Le principe de réduction des risques bafoué

• L’article 1 .d de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac stipule, dans son texte anglais qui fait référence, que les « stratégies de réduction des risques » sont un élément de la définition de la lutte anti-tabac. Nous constatons que la Convention ne respecte pas ce principe. Nous avons été particulièrement choqué d’entendre Vera da Costa, Secrétaire générale de la CCLAT, déclarer en séance d’ouverture que « la réduction des risques n’est pas fondée ». Cette affirmation péremptoire nous paraît inconsistante, irrationnelle et dangereuse dans le cadre de l’élaboration de politique de santé publique. Dans la situation actuelle et les conséquences sanitaires et sociales du tabagisme, la reconnaissance et la mise en œuvre de stratégies intégrant la réduction des risques devraient être prioritaires pour les parties membres de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac.

• Nous avons pu rencontrer des représentants de vapoteurs de divers pays. En Thaïlande, où les cigarettes sont un Monopole d’État, la possession d’une vapote fait risquer l’arrestation et une peine jusqu’à dix ans de prison. En Tunisie, les vapoteurs sont condamnés au marché noir et l’insécurité sur la qualité, parce que la Régie nationale du tabac bloque l’importation légale de produits de vapotage. En Inde, l’État fédéral appelle les Etats a prohiber le vapotage, alors que plus de 250 millions d’indiens consomment du tabac, essentiellement vendu par une firme détenue à 32 % par l’État. Dans l’Union Européenne, sauf en Suède, les consommateurs sont privés d’accès au Snus suédois. Nous ne pouvons ici faire un compte-rendu exhaustif de la situation mondiale**.

Force est de constater que le droit humain fondamental a pouvoir protéger sa santé en ayant accès aux produits de réduction des risques, tel que le vapotage face au tabagisme, est bafoué dans de nombreux pays. Non seulement le Secrétariat de la CCLAT n’a pas condamné ces situations dramatiques mais les a souvent encouragé.

Opacité et autoritarisme

• Le rôle du Secrétariat de la CCLAT est d’exécuter les décisions de la Convention. De toute évidence, il dépasse ce rôle pour s’arroger des pouvoirs au-delà de son mandat. L’opacité des débats au sein de la Convention est d’évidence un moyen utilisé par le Secrétariat pour outrepasser ses compétences. Nous sommes très inquiets de cette dérive autoritaire et du pouvoir pris de manière disproportionné par le Secrétariat qui semble hors contrôle.

• En tant que francophones, nous sommes choqués de l’absence d’information et de transparence des délégations de France, de Belgique et de l’Union Européenne. En tant que représentants d’associations actives sur la réduction des risques ou d’usagers de vapotage, nous n’avons été consultés sur les sujets et les problématiques abordés ni avant ni pendant la Convention. Durant celle-ci, aucun de nos représentants n’a pu même échanger avec un des délégués de la France ou de l’Union Européenne, malgré les permanences que nous avons organisées à la place des Nations, à cinquante mètres de la Convention.

• Nous avons été choqués qu’Anne Bucher, nouvelle Directrice générale à la santé pour l’Union Européenne, déclare en conférence de presse que le vapotage est du tabac. Cette déclaration va à l’encontre du bon sens, de la science et de la directive européenne.

Un débat publique doit s’ouvrir

En conclusion, l’orientation imposée à la CCLAT nous apparaît très inquiétante***. Cette semaine nous laisse dans une grande perplexité sur son avenir. Sous l’influence manifeste de multiples intérêts commerciaux et niant les droits fondamentaux des usagers, la CCLAT se déconnecte des intérêts du public. Dans ces conditions, comment pourrait-elle soutenir efficacement des stratégies contre les maladies et les méfaits liés au tabagisme ?

Exclus des débats de la Convention, sans information de la part de nos autorités, avec de simples bribes d’informations confuses et orientées dans quelques médias conventionnels, nous restons démunis. Faut-il laisser la CCLAT dériver avec sa ligne inflexible actuelle ? La lutte pour aider les victimes de maladies liées au tabagisme mérite t-elle une réforme de la structure et un assainissement des cadres de cette organisation ?

Ce débat doit être ouvert par la société civile, en particulier les acteurs honnêtement concernés par les droits humains, dont celui de protéger sa santé par l’accès à des moyens de réduction des risques. L’échéance de la prochaine édition de la COP est agendée en 2020 aux Pays-Bas. Nous affirmons la nécessité incontournable d’intégrer et consulter les principaux concernés dans les processus de décision, ainsi que de respecter le principe de réduction des risques déjà intégré au premier article de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac.

* Les observateurs francophones de quatre associations sont Claude Bamberger (Aiduce, France), Olivier Théraulaz (Helvetic Vape, Suisse), Khaled Hadad (ACEAF, Tunisie) et Philippe Poirson (Sovape & Helvetic Vape, Suisse).

** Harry Shapiro vient de publier un rapport (en anglais avec un résumé en français) sur l’état global de la réduction des risques face au tabagisme, pour l’organisation Knowledge Action Change (KAC). Lien…