Retour sur la vague de pneumopathies de 2019 aux USA (EVALI)

10 avril 2020

Pneumopathies USA 2019 - Vapotage

REF : #2 • AVRIL 2020 | VERSION .PDF

Le 25 février 2020, le Center for Disease Control (CDC) a clos le dossier improprement nommé “EVALI” par les autorités sanitaires américaines pour « E-cigarette, or Vaping, product use Associated Lung Injury », une vague de pneumopathies associées en réalité à la consommation de produits frelatés à l’acétate de vitamine E obtenus sur le marché noir du THC aux États-Unis. Le bilan se monte à 68 décès et 2807 personnes atteintes.

Durant des mois, les autorités sanitaires et les médias ont incriminé la cigarette-électronique ou le vapotage sans informer sur le risque spécifique des produits du marché noir du THC frelatés à l’acétate de vitamine E. La chronologie de la crise, que nous retraçons, montre que cette désinformation a été entretenue malgré des éléments factuels pointés par des consommateurs, des soignants et des analyses scientifiques. En donnant trop tard et trop peu la bonne information, les autorités sanitaires n’ont pas prévenu correctement le public du danger.

L’acétate de vitamine E dans les poumons des malades

Il n’y a plus de doute sur la cause de cette vague de pneumopathies. Elle est le fait de dealers de liquides au THC au marché noir. Ils ont utilisé de l’acétate de vitamine E pour tromper leurs clients sur la concentration en THC de cartouches scellées pré-remplies. La cause des intoxications aurait pu et aurait dû être communiquée au public par les autorités sanitaires dès le mois d’août.

Publiée en décembre sur le site du New England Journal of Medicine (NEJM), une analyse des fluides de lavage bronchoalvéolaire (BAL), une méthode diagnostique, a confirmé la présence d’acétate de vitamine E dans la quasi-totalité (94 %) des cas. « 48 des 51 patients atteints de lésions pulmonaires avaient de l’acétate de vitamine E dans leur liquide BAL. En revanche, l’acétate de vitamine E n’a été détecté dans aucun liquide BAL prélevé sur 99 participants en bonne santé, dont 18 utilisateurs de cigarettes électroniques », précise l’étude [1].

Selon cette même étude, l’acétate de vitamine E pourrait faire perdre « la capacité du surfactant [pulmonaire] à maintenir la tension superficielle nécessaire pour entretenir la respiration ».

Une information disponible pour les autorités sanitaires dès le 19 août

Dès le mois d’août, les laboratoires du département de santé de l’État de New York (Wadsworth Center) avait pointé le rôle de l’acétate de vitamine E présente dans 38 échantillons de liquides appartenant aux dix premiers malades à New York. « Notre laboratoire a été le premier à identifier l’acétate de vitamine E dans les liquides des vaporisateurs récupérés des patients souffrant de lésions pulmonaires, ce que nous avons rapidement signalé aux responsables des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis, de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis et aux responsables de santé publique de plusieurs États par conférence téléphonique et par courrier électronique le 19 août 2019 », déclare David C. Spink, chimiste du Wadsworth Center, lors de la publication de l’étude le 24 janvier 2020 [2].

Outre cette analyse du Wadsworth Center, de nombreux responsables régionaux de santé — notamment de l’Indiana [3], de l’Utah [4], de l’Iowa — alertent autour du 22 août sur les liquides illicites au THC. Ces rapports confirment les témoignages du public. Par exemple, Patrick D.G. montre dès le 25 juillet à la caméra de Fox6 Milwaukee une fiole de liquide au THC achetée au marché noir par son frère hospitalisé pour cette pneumopathie [5].

“Le CDC met en danger la vie des jeunes”

Le 23 août, alors même que le premier décès est annoncé dans la matinée, et que 193 cas potentiels sont dénombrés, le CDC et la FDA taisent cette information. Mich Zeller, directeur de la section tabac de la FDA, Ileana Arias, directrice adjointe du CDC, et Brian King, responsable de la section tabac du CDC, affirment aux journalistes n’avoir identifié aucun ingrédient particulier lié aux cas de pneumopathies et incriminent le vapotage en général, comme en rend compte le verbatim du briefing [6].

Des experts dénoncent cette désinformation, mais sans écho dans les grands médias. « Le parti pris du CDC contre les cigarettes-électroniques met en danger la vie des jeunes. (…) Nous en savons suffisamment pour recommander spécifiquement aux gens de ne plus utiliser les produits de vape à l’huile de THC. Le fait que le CDC n’ait pas réussi à le faire est irresponsable, mettant des vies en danger et démontrant le parti pris de l’agence », s’emporte le Pr Michael Siegel, enseignant de Santé publique à l’Université de Boston, sur son blog le 25 août [7].

L’acétate de vitamine E pour tromper les acheteurs de THC

La nicotine est difficilement soluble dans les lipides, telle que la vitamine E, une propriété chimique pourtant simple à vérifier. Tandis que l’acétate de vitamine E, non seulement se mélange facilement aux cannabinoïdes, mais détient aussi une viscosité similaire au concentré de cannabis. Le 30 août, le site spécialisé Leafly révèle que les dealers utilisent depuis quelques mois un nouvel additif épaississant à l’acétate de vitamine E pour tromper leurs clients sur la concentration en cannabinoïdes de leurs produits [8].

Depuis décembre 2018, des acteurs du marché légal du cannabis alertaient sur la diffusion de produits dangereux sur le marché noir, sans être entendus par les autorités [9]. Des tests conduits par la police du Minnesota sur des saisies confirment ce calendrier. Aucun des produits saisis en 2018 avant la vague de malades ne contenaient d’acétate de vitamine E, tandis que « tous les produits contenant du THC saisis en 2019 se sont révélés positifs pour l’acétate de vitamine E » [10].

Le 8 novembre, le CDC reconnaît enfin le rôle de l’acétate de vitamine E

Il faut attendre le 8 novembre pour que le CDC reconnaisse le rôle probable de l’acétate de vitamine E présent dans des liquides au THC distribués au marché noir, et le mois de décembre pour confirmer sa responsabilité dans ces pneumopathies.

Ainsi, de juillet à novembre, les autorités ont entretenu la confusion entre les différents produits. Elles n’ont pas prévenu les consommateurs de produits de cannabis du danger des liquides frelatés au marché noir. « Certains chercheurs et des experts de l’industrie légale du cannabis ont souligné cette cause dès l’été, mais leurs conseils ont été largement ignorés », notent amères la Pr Linda Bauld, de l’Université de Stirling, et la Dr Suzi Gage, de l’Université de Liverpool, dans une tribune de fin d’année au Guardian [11].

Personne n’utilise le terme d’e-cigarette pour désigner des cartouches de vape au THC. C’est pourtant celui-ci qu’ont choisi le CDC et les médias pour alerter sur ces pneumopathies. « Cette crise est l’un des plus grands manquements au devoir de la part des dirigeants américains de santé publique que j’ai vus de mon vivant », déplore Bruce Barcott, rédacteur en chef du site spécialisé du cannabis Leafly. Combien des 68 décès et 2807 cas d’atteintes du bilan final auraient pu être évités avec une information claire et honnête dès le mois d’août sur la source du danger ?

Des vapoteurs inquiets et des fumeurs dissuadés

Début février, 66 % des Américains sondés par le cabinet Morning Consult, déclaraient croire que les décès étaient liés au vapotage nicotiné, tandis que seuls 28 % savaient que les produits au THC du marché noir étaient en cause [12]. En l’absence d’information claire et en entretenant la confusion entre les produits, le CDC et la FDA ont renvoyé des millions de vapoteurs à la cigarette, et dissuadé des dizaines de millions de fumeurs d’arrêter de fumer à l’aide du vapotage, à travers le monde y compris en France [13].

« Dans une certaine mesure la confusion entretenue entre vapotage nicotiné et cartouche de THC a été intentionnelle. Peut-être dans une bonne-intention à cause de la peur de l’augmentation du vapotage des adolescents. Certains pensent qu’il vaut mieux “simplement diaboliser tout vapotage”, indépendamment de ce que la science montre », commente le Pr David Abrams, de la faculté de Santé publique globale de la New York University [14].

NOTES :