Au quotidien, des acteurs de santé intègrent la vape dans leur arsenal, la combinent aux traitements classiques et constatent son efficacité. Dans les boutiques, d’autres populations, un même combat, aider à en finir avec la cigarette.

De nouveaux chemins

À chaque fumeur son parcours de sortie du tabagisme. L’histoire de la dépendance de chacun est différente et l’addiction n’a pas la même intensité pour tous. Avec l’apparition de la vape de nouveaux parcours se développent. Médecins, tabacologues, pairs, communautés en ligne, professionnels du vapotage: de nouvelles portes s’ouvrent, adaptées à des profils différents.

Nous avons interrogé quatre professionnelles : la docteure Valentine Delaunay, médecin spécialisé dans les addictions en contact avec les fumeurs les plus dépendants ; Dominique Douanne, infirmière tabacologue ; Françoise Gaudel, psychologue tabacologue et créatrice d’une communauté en ligne de “défumeurs” et enfin Vanessa Delarue, ex-fumeuse et gérante de boutiques spécialisées. Chacune d’entre elles raconte son expérience d’accompagnement de fumeurs aux profils diversifiés et l’intégration de la vape dans sa pratique.

Ces témoignages confirment de précédents avis d’experts. Commentant une étude américaine, Philippe Arvers affirmait que “le vapotage augmente de manière significative les chances de succès“. Jacques Le Houezec soulignait l’importance du conseil dans les boutiques spécialisées “Le conseil adapté à un débutant est primordial dans une boutique de vape, c’est cette clientèle de primo-accédants qui fait la réputation et le succès d’une boutique“.

4 AVIS D’EXPERTS


 

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Valentine DELAUNAY

Un outil supplémentaire, qui peut se combiner avec les traitements classiques

Qu’est-ce que la vape a changé à votre pratique ?

C’est simple, pour moi, la vape est l’outil qui peut venir à bout du tabagisme. Je m’explique.

La vape a changé mon arsenal thérapeutique. C’est un outil supplémentaire qui vient compléter les solutions que nous avions à notre disposition jusqu’à présent : les substituts nicotiniques et la varénicline. La combinaison de ces traitements classiques avec la cigarette électronique est redoutablement efficace, elle permet d’aider des patients qui étaient en échec jusqu’à présent et de les accompagner avec un outil supplémentaire, de mieux en mieux accepté. La vape apporte non seulement une partie de la nicotine, mais aussi le geste, ce fameux geste intégré à la dépendance comportementale dont les patients parlent tout le temps.

La population que je vois dans ma consultation à l’hôpital est particulière, ce sont des “hardcore smokers”, des gens chez qui la dépendance est très forte. J’ai aussi des personnes pour qui la cigarette est la dernière addiction à traiter. Nombre d’entre elles ont tout essayé – ou presque – pour arrêter de fumer et n’y sont pas arrivées. Or, dans cette population, la combinaison vape et substituts nicotiniques est vraiment très efficace. A l’occasion du Mois Sans Tabac 2017, nous avions mis en place un dispositif articulé autour d’une consultation de tabacologie, la gratuité des médicaments, substituts et de la vape grâce à la Vape du cœur, ainsi que des ateliers vapotage animés par des vapoteurs sur les aspects techniques. 98% des participants ont reçu des substituts nicotiniques, 66% sont devenus ou restés vapoteurs. Résultat ? Trois quarts des participants ont arrêté de fumer pendant le mois sans tabac ou les semaines qui ont suivi !

Les candidats au sevrage sont ils réticents vis à vis du vapotage ?

Depuis un an, je constate que la vape est de mieux en mieux acceptée, de moins en moins critiquée. Les réfractaires sont plus enclins aujourd’hui à essayer qu’avant, je constate aussi que certains récalcitrants se la sont totalement appropriée et l’utilisent quotidiennement, à ma grande surprise très facilement. Et pour ceux qui l’ont essayée et abandonnée, il faut soigneusement les interroger et trouver la raison souvent technique et simple à contourner, pour qu’ils décident de s’y remettre. Cette petite enquête fait partie aujourd’hui de mon entretien motivationnel de base et se montre très efficace pour développer la motivation à l’arrêt.

Au milieu du flot de désinformation il y a aussi des articles et des prises de parole positives. Les patients les ont souvent lus ou entendus. Il y a aussi les brochures de l’AIDUCE et du RESPADD qui sont très utiles pour les rassurer et répondre à leurs réticences. Elles devraient être dans toutes les salles d’attente…

Arrêter la vape et/ou la nicotine sont ils des objectifs ?

Le plus souvent les patients souhaitent « tout arrêter totalement ». Mon rôle est de les aider à relativiser, à se laisser du temps et à diviser leur objectif en micro-objectifs. Mon objectif à moi n’est pas déterminant. Sur ce point, il faut tenir compte de la demande, c’est le patient qui décide. En tant que médecin, l’urgence pour moi et la seule chose qui importe vraiment c’est d’arrêter de fumer. Pour le reste ça dépend du patient.

La nicotine ? Le principal risque c’est l’addiction lorsqu’elle est administrée en shoot. Elle n’est pas dangereuse chez les fumeurs. Il est dommage d’ailleurs que son taux soit limité à 20mg/ml de nicotine, j’aurais besoin de dépasser ce dosage avec certains patients.

Il faut toujours garder en tête qu’on est en concurrence avec le tabac.

Comment voyez-vous l’évolution du rôle de la vape dans la lutte contre le tabagisme ?

Les choses bougent. Paquet neutre, hausse du prix du tabac, remboursement de la varénicline et maintenant remboursement des patchs et des gommes. Les choses avancent dans le bon sens. Je pense que cette dernière mesure va avoir de l’impact, parce que de plus en plus de patients vont réclamer des ordonnances. La hausse des prescriptions va engager le dialogue et provoquer le questionnement de la part des professionnels de santé. Le rôle des soignants c’est d’aider les patients à sauter le pas. Les tabacologues devront convaincre les médecins, et les autres prescripteurs, et les aider à s’informer sur la manière d’utiliser la nicotine et le rôle que la vape peut jouer pour arrêter de fumer.

Je pense que le mouvement de la vape va continuer à s’amplifier, on voit de plus en plus de vapoteurs dans la rue, partout. Il nous est de plus en plus facile de faire essayer des gens qui n’avaient pas accroché. Il y a de moins en moins de jugement, on n’entend presque plus dire “c’est une mode”, c’est fini, ce n’est plus perçu comme une mode. Il y a ceux pour qui c’est devenu un mode de vie, et ceux pour qui c’est simplement vital.

On le voit bien sur les réseaux sociaux, les vapoteurs sont très efficaces pour aider les fumeurs à franchir le cap, se sevrer du tabac. Ils donnent beaucoup de leur temps dans des groupes sur Facebook par exemple. Je crois que sans eux ce mouvement se serait essoufflé et peut être même arrêté. Une partie du combat reste encore bénévole, c’est un peu épuisant parfois, il faut être nombreux pour continuer à avancer. C’est lorsqu’on échange avec un fumeur sur son lieu de passage que l’engagement vers l’arrêt prend racine. C’est le principe de la consultation avancée. L’unité de lieu et de temps de l’échange sont essentiels : groupe facebook, boutique, consultation… On pourrait en imaginer bien d’autres selon la population ciblée : réfectoire d’entreprise, soupe populaire, secrétariat de maternité…


 

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Dominique DOUANNE

La vape dans la pratique d’une tabacologue »

Comment avez-vous intégré la vape dans votre pratique ?

En tant que tabacologue, j’indique bien entendu l’option de la vape. Je vape moi-même d’ailleurs. L’objectif est d’arrêter la cigarette dans un premier temps, avec ou sans aide de substituts nicotiniques et de diminuer ensuite le dosage de nicotine. Mon rôle, en tant que tabacologue est de discuter avec la personne qui vient consulter, analyser son profil, mesurer les souffrances, comprendre ses motivations pour arrêter de fumer. Veut-elle sortir de l’addiction ? A-t-elle des raisons de santé ? Est-elle motivée par des économies… Toutes ces questions permettent ensuite de recommander des stratégies et des outils : substituts nicotiniques, médicaments, vapotage, elles dépendront beaucoup du profil.

Je suis tabacologue depuis 2007. Dans les congrès de la Société Française de Tabacologie (SFT) et d’autres, la vape avait mauvaise presse, lorsque j‘en parlais je dois avouer qu’on me regardait bizarrement. J’ai rejoint le groupe Facebook « Je ne fume plus », et là j’ai rencontré des vapoteurs super-sympa et j’y ai trouvé aussi Jacques Le Houezec que j’avais eu comme professeur. Il publiait régulièrement sur son blog des articles et des études qui m’ont confortée dans mon « apprentissage » de la connaissance de la Vape. Je suis allée, invitée par lui, au premier Sommet de la vape, “Politique de santé et cigarette électronique”, au CNAM à Paris, c’était le 9 mai 2016. Une véritable découverte scientifique pour moi !

J’ai moi-même arrêté de fumer il y a plus de 25 ans, mais il m’est arrivé de recommencer à avoir des envies de fumer, face à des situations durant lesquelles je fumais avant. Ça pouvait durer jusqu’à une semaine non-stop. Je me suis acheté une vape qui ne me convenait pas particulièrement, par la suite Jacques LeHouezec m’a conseillée et orientée vers un matériel adapté à ma situation. J’ai toujours une vape sur moi, je l’utilise extrêmement rarement. Mais, depuis que je l’ai, mes envies c’est terminé, je me sens en sécurité.

Dans ma pratique, le fait de pouvoir proposer la vape aux patients aide beaucoup.

Pour ceux dont le geste est important, le fait d’avoir dans une soirée entourée de nombreux fumeurs une aide, de faire des pauses au travail avec des fumeurs… je conseille la vape. Surtout que l’on peut combiner la Vape avec les autres substituts nicotiniques dont les patchs et diminuer doucement les titrages en nicotine pour ne garder que la vape plaisir.

Arrêter de vaper , pour moi, n’est pas le « but » ultime. Arrêter de fumer oui. Cela dépend comment le patient le vit et comment il le souhaite.

Vous distinguez donc le fait de fumer et la consommation de nicotine ?

Je cite la tabacologue Béatrice Le Maître sur ce point: “Les échanges se sont apaisés et les professionnels de santé s’accordent là dessus : vapoter, ce n’est pas fumer. Dans une cigarette, il y a 2.500 produits nocifs et le danger vient de la combustion qui libère des particules fines. La vapeur contient à peine une quinzaine de produits, qui sont infiniment moins dangereux.”[1]

La nicotine des substituts nicotiniques comme la nicotine absorbée avec la vapeur de la e-cig, c’est bien de la nicotine, mais ce n’est en rien une drogue. C’est de la « bonne » nicotine, destinée à aider les fumeurs à se détourner, sans manque, du tabac. Elle diffuse efficacement, mais beaucoup plus lentement, dans le corps jusqu’au cerveau. Elle aide à gérer les symptômes de manque et de sevrage quand on souhaite se détourner, sans souffrance, du tabac.

La nicotine des substituts nicotiniques diffuse lentement et par voie transcutanée, sans aucun autre produit. La nicotine du e-liquide, se trouve naturellement dans la vapeur produite par le chauffage du e-liquide, mais il n’y a aucune combustion. Une quinzaine de produits seulement, et que l’on connaît bien, et que l’on sait parfaitement contrôler, l’accompagnent. Je demande juste que les e-liquides soient CE, et d’éviter les achats peu chers venant de Chine ou d’ailleurs, on ne sait pas ce qu’il y a dedans.

La e-cig fait aujourd’hui naturellement partie de l’ensemble des aides disponibles pour l’arrêt du tabac. La e-cig est certes un produit de consommation courante qui n’a pas un statut de médicament. Par ailleurs, la e-cig peut s’associer à tous les traitements validés pour l’arrêt pour aider à gérer toute situation à risque de rechute, mais peut aussi parfaitement être utilisée seule.

Avec une e-cig, le fumeur qui souhaite abandonner le tabac va retrouver des sensations qui lui rappele la cigarette (le hit) sans l’immense toxicité de la fumée de tabac.

Lorsque le fumeur opte pour le vapotage, que lui conseillez-vous pour se lancer ?

Il est capital de recevoir les bonnes explications au début, en particulier sur la technique du vapotage initial (aspiration pendant 3 secondes). C’est pourquoi je conseille toujours, pour une première utilisation, d’aller directement dans un magasin spécialisé capable de fournir toutes les informations nécessaires. L’achat d’emblée sur internet ne me parait pas une bonne chose. Les magasins qui ont reçu une formation spécifique, délivrée par Jacques Le Houezec, sont à privilégier. J’espère vivement que cette formation se généralisera pour les shops.

Surtout pas de sous-dosage initial, de bonnes explications et la possibilité offerte de venir demander conseil s’ils en ressentent le besoin. Encore une fois, la nicotine n’est pas le problème mais LA solution. Donc pas de sous-dosage initial et ne pas vouloir diminuer trop rapidement son taux de nicotine : laisser le temps au temps et avancer tout en douceur. Pour un fumeur, remplacer le tabac par la cigarette électronique représente incontestablement un bénéfice car il réduit les risques pour sa santé.

Le seul effet secondaire, c’est une sécheresse de la bouche, il faut donc s’hydrater. Je conseille de boire tout au long de la journée pour aider le corps à se désintoxiquer. Parfois une irritation gênante de la gorge peut survenir si les produits utilisés ne sont pas adaptés.

Je conseille quand même de garder une Vape, même si on a arrêté de vaper, au cas où… et de donner le matériel qui n’est plus utilisé à la Vape du Cœur.

RÉFÉRENCES : 


 

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Françoise GAUDEL

“People are connected, and so their health is connected” — A. Nicholas

Vous êtes à l’origine du premier groupe d’auto-support en ligne pour l’arrêt du tabac, premier dans le temps et par le nombre de participants. Comment ça marche ?

Le groupe ” Je ne fume plus ! ” existe depuis 2012. Il est né d’une idée simple : aller là où sont les gens, pour leur apporter une information et un premier accompagnement vers le chemin du sevrage. Le groupe, 12 800 membres actuellement, est organisé autour d’échanges libres et d’information entre les membres, échanges basés sur un consensus autour de l’accompagnement et du soutien.

Une vingtaine de posts récurrents sont publiés chaque jour, des posts hebdomadaires spécifiques viennent les compléter. Un système de badges (les “piou-piou”) félicite les parcours au quotidien, et un appui spécifique de parrains et de marraines apporte une entraide individualisée.

Une organisation très structurée est nécessaire au fonctionnement du groupe, avec des animateurs, modérateurs, administrateurs, et un certain nombre de ” pools ” fonctionnant de façon spécialisée. 100% des intervenants sur le groupe sont bénévoles, et interviennent sur leur temps personnel. Les outils du groupe sont ” artisanaux ” (par exemple, un tableau Excel à 4’000 entrées pour ” les fêtés du jour “).

Qu’est-ce qui distingue ici l’accompagnement des fumeurs ?

La principale attente des fumeurs ou ” défumeurs ” à l’entrée dans le groupe est l’échange avec les pairs. L’auto-support et le fort soutien émotionnel des membres entrainent un grand nombre d’interactions (120 posts/jour, entre 3 et 4 000 commentaires/jour). Le groupe est un véritable espace de parole sur l’arrêt du tabac et son vécu.

Il se base avant tout sur des échanges autour des apprentissages qu’apporte l’expérience du sevrage. Aide à la consolidation du parcours, solidarité entre les membres, identification positive de chaque ” chemin de défume ” participent à la prévention de la rechute (les “peaux de banane” sont dédramatisées).

Toute l’information véhiculée dans le groupe est issue des apports des membres de ” Je ne fume plus ! ” et des professionnels qui interviennent sur le groupe. Elle intervient au moment où elle peut faire sens dans le parcours de la personne, renforçant ainsi la motivation, la confiance en soi, et le sentiment de capacité à réussir.

Les fondements du groupe reposent sur le soutien et la solidarité, l’apprentissage et la connaissance, qui permettent de devenir acteur de son parcours, en valorisant chaque étape, en dédramatisant les difficultés, en se donnant les moyens d’agir de plus en plus en autonomie.

Dans le groupe ” Je ne fume plus ! “, toutes les méthodes d’arrêt sont représentées, la moitié des membres ayant arrêté de fumer sont en sevrage depuis moins de 6 mois. La vape représente plus de 40% de ces personnes : vape parfois occasionnelle, le plus souvent utilisée au quotidien comme outil pour quitter le tabac.

Deux moments forts sont à signaler : l’hiver 2015, avec l’arrivée de vapoteurs jusque-là absents des échanges, puis le Mois sans Tabac 2016, où plus de 3’000 personnes ont rejoint le groupe sur une période de moins de deux mois, dont un grand nombre de vapoteurs, qui ne trouvaient pas écho dans les publications de Tabac Info Service.

Quelles sont les spécificités propres à la vape ?

Très vite, une “team vape” s’est créée : 22 personnes y participent, et un post “spécial vape” est mis en place chaque semaine.

L’accompagnement des vapoteurs sur le groupe est similaire à toute personne arrêtant de fumer, mais avec des spécificités :

  • Techniques : il s’agit de choisir un matériel adapté au sevrage tabagique et le bon dosage. De (trop) nombreux vapoteurs débutants souhaitent “faire de la vapeur” et investissent dans un matériel qui ne permet pas l’arrêt du tabac. La team vape apporte l’information nécessaire, guide les choix et donne les bases de connaissances techniques liées à l’utilisation d’un vaporisateur personnel.
  • Sociales : si la communauté des vapoteurs est vivante, multiple, et engagée, il n’en demeure pas moins que les nouveaux vapoteurs doivent subir une désinformation régulière, et des commentaires pour le moins peu encourageants de nombreuses personnes de leur entourage privé ou professionnel. La team vape a là aussi un rôle de réassurance, d’information et d’argumentation. Il s’agit de consolider le projet de sevrage, et d’en comprendre tout l’intérêt avec la vape.
  • Psychologiques : une vape bien dosée et adaptée permet un arrêt du tabac “confortable”, ce qui va parfois à l’encontre de la représentation que se faisait le fumeur de cet arrêt. “Je ne fume plus mais je vape” est souvent noté, comme si le fait d’utiliser un outil efficace pour ne plus fumer minimisait la réussite.

De même, de plus en plus de néo-vapoteurs posent, a priori, la question de l’arrêt de la vape, alors même que leur sevrage est à peine entamé : ne pas la garder longtemps, la prendre pour le démarrage, la garder pour “les occasions à risques”, vapoter en zéro le plus rapidement possible… C’est un ensemble de craintes, images, projections que doit aborder la team vape dans l’accompagnement solidaire et expert. Il y a là une démarche éducative qui passe par de multiples compétences : tant sur la méthode “vapotage” en tant que telle que sur la connaissance des publics qui s’adressent à un groupe d’auto-support.

C’est en ce sens que dans un groupe d’entraide à l’arrêt du tabac tel que “Je ne fume plus !”, une équipe dédiée a tout son intérêt, non pas pour spécifier la vape comme une méthode, mais bien tenir compte de l’ensemble de ses usages et représentations afin de mieux guider les personnes qui souhaitent quitter le tabac grâce à la vape.


 

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Vanessa DELARUE

L’expérience en boutique spécialisée

Quelles ont été vos motivations pour ouvrir une boutique spécialisée dans la vape ?

En 2012, l’arrêt du tabac était devenu une obsession pour moi. J’avais arrêté la cigarette en 2004 pour les grossesses. Puis repris bêtement, classiquement, après la naissance des enfants : une par jour jusqu’à revenir à mes 2 paquets habituels. Arrive finalement une promesse pour les 5 ans de ma fille (2011), qui ne cessait de le demander. Sauf que ça ne se passe pas de la même façon cette fois qu’il n’y a plus la motivation de la grossesse. Je fumais en cachette. Et toujours autant.

J’essayais d’arrêter avec la vape depuis trois ans sur les petits modèles vendus en pharmacie et sur Internet (format cigarette). J’avais dix batteries, qui tenaient 30 minutes chacune ! Lorsque j’ai découvert qu’une boutique physique existait à Paris, je m’y suis précipitée, et ai su à l’instant où je testais le modèle de batterie de l’époque (Ego C 650mAh, qui enfin délivrait un peu de puissance) que j’étais devenue non fumeuse et que je voulais me lancer dans l’aventure… aussi parce que ce qui m’avait été proposé ne me convenait pas en terme d’accueil, de conseil et de cadre. Après avoir réussi, je voulais « diffuser largement »…

Après renseignement sur les composants de mon eliquide, il était évident avec mon regard de chimiste qu’aucune nocivité comparable à celle de la cigarette ne serait jamais établie.

Je me suis lancée à corps perdu dans l’aventure qui me correspond tant : entrepreunariat, contact humain, aide/soutien/conseil, et bien sûr l’arrêt de la cigarette qui avait été un tel combat pour moi. La première boutique a ouvert en novembre 2012 dans le 3ème arrondissement à Paris. Les autres ont suivi, et la petite dernière est à Bayonne depuis novembre 2017.

Comment abordez-vous les fumeurs qui entrent dans vos boutiques, qui sont-ils ?

Il faut d’abord connaitre le nombre de cigarettes fumées par jour – roulées ou pas -, la durée du tabagisme et les habitudes associées. Le client fume-t-il plus le matin ? le soir ? dans un cadre social ? En combien de temps fume-t-il une cigarette, quelle est sa façon d’aspirer ? etc.

Nous cherchons à déterminer quelle dépendance est la plus prononcée : la nicotine, la gestuelle, la contenance sociale, l’habitude, en sachant bien entendu qu’il s’agit toujours d’un mix de toutes ces dépendances. Celle à à la nicotine est associée aux nombre d’années de tabagisme et à la quantité de cigarettes fumées quotidiennement.

Ensuite il faut comprendre s’il y a des freins esthétiques et/ou pratiques. Certaines personnes préféreront un modèle plus petit, qu’elles chargeront plus souvent, car elles n’assumeront pas un objet trop gros, trop lourd, ou simplement qu’elles ne trouvent pas joli. Si l’objet n’est pas assumé socialement, la vape ne sera pas utilisée.

Mais plus que tout ce qui fait le choix du modèle, du goût, du taux de nicotine, c’est le test : le fumeur DOIT avoir l’impression de fumer quand il vape. Sur la base de ce seul ressenti, certains très gros fumeurs partiront sur un taux plus faible alors que d’autres tous petits fumeurs partiront avec un taux de nicotine élevé. Cette ressemblance dans le ressenti se lit instantanément dans le regard du fumeur qui vient essayer la vape.

Tous les âges sont représentés dans la vape, mais avec une prédominance dans nos boutiques des 35-45 ans, le souhait d’arrêter la cigarette à l’arrivée des enfants, après une quinzaine d’années à fumer en moyenne. Les préoccupations concernent essentiellement la santé dans cette tranche d’âge.

Nous nous adressons dans nos boutiques quasi exclusivement aux fumeurs primo-accédants (à l’exception de l’une d’elle aussi axée « vape loisir », du fait de la personnalité et de l’histoire de sa responsable).

Au-delà de l’équipement initial, suivez-vous leur parcours ?

Le soutien est fondamental. Il faut passer au moins trente minutes avec un fumeur, pour les fumeurs qui n’ont pas plus de temps à consacrer, c’est usuel, idéalement une heure. Quand ils repartent avec leur matériel et leur liquide, il faut avoir discuté avec eux de leur stratégie. Beaucoup refusent catégoriquement l’arrêt brutal. Il faut alors avoir défini ensemble la stratégie pour la diminution progressive de la quantité de cigarettes quotidiennes, mettre en place des règles qui dépendent de la personnalité de chacun.

Pour ceux qui ont fait le choix de l’arrêt brutal à la sortie de la boutique, il faut avoir discuté longuement avec eux de la façon de réagir quand le craving intervient : des petits trucs à nous, des petits trucs plus classiques, parfois des petits trucs qui nous viennent à l’esprit parce que nous avons sympathisé, commencé à appréhender le caractère et les habitudes de la personne.

Le fumeur doit avoir l’impression de ne pas être seul. C’est une grande part du succès du sevrage. La vape fera son boulot technique. A nous de faire le boulot humain. Bien sûr nous leur proposons de nous appeler à la moindre difficulté, qu’elle soit d’ordre technique ou non.

J’estime à 60%, sur la base de plus de cinq ans de recul, le taux de réussite de la vape dans le sevrage tabagique, quand le conseil et le suivi sont de qualité. Je l’estime à 20% avec un mauvais conseil et pas de suivi. Ces taux sont à mettre en regard de ceux des substituts nicotiniques pharmaceutiques.

L’arrêt de la cigarette est, selon moi, une des épreuves les plus difficiles d’une vie. Le soutien est absolument fondamental. Certains clients préfèrent acheter leurs flacons seulement un par un, afin de profiter de chaque venue en boutique pour faire le point, demander des conseils. L’essentiel des rechutes est lié à une baisse trop rapide du taux de nicotine, encore une fois sous la pression des idées reçues : « nicotine = danger ». Vient ensuite comme cause de rechute l’évènement personnel difficile à surmonter et la croyance que la cigarette sera une béquille pour affronter les obstacles et les moments douloureux.

Le manque de motivation est une autre cause de rechute, on la voit essentiellement chez les moins de 25 ans qui parfois ne voient pas encore les effets délétères sur leur santé de la cigarette. Plus rarement la rechute est liée à la prise de l’habitude pendant de longs mois, voire années, de « la clope de temps en temps », qui devient « la clope tous les jours », et là c’est la rechute assurée.

Quels sont les principaux freins à la vape que vous observez ?

La peur d’un effet nocif non connu est le principal frein au passage à la vape. Les fumeurs ont bien sûr plus accès aux gros titres racoleurs qu’aux centaines d’études scientifiques parues à ce jour. Il faut prendre le temps de les rassurer, leur expliquer, leur montrer les compilations d’études scientifiques. Malheureusement, aujourd’hui comme il y a 5 ans, la désinformation règne, le fameux « la vape c‘est mauvais, on ne sait pas ce qu’il y a dedans ». Les études pleuvent, elles sont toutes rassurantes, mais le mouvement qui est né en 2013 mettra beaucoup de temps à s’atténuer. C’est un travail d’information et d’éducation quotidien que nous devons effectuer auprès de nos clients. Ma formation d’ingénieur chimiste est très rassurante pour eux.

Il y a aussi le frein de la peur d’un nouvel échec après un mauvais conseil. Les boutiques « pas sérieuses » (qui se font rares, elles finissent par fermer un jour ou l’autre) ont décrédibilisé le produit et la profession, par un accueil exécrable et de très mauvais conseils. J’ai coutume de dire qu’en 2013 beaucoup se sont lancés sur la vape comme « la faim sur le monde » : méconnaissance du produit, méconnaissance de la dépendance à la nicotine, mépris complet du client et de ses besoins.

Beaucoup moins représenté, le frein de l’esthétique et du poids du produit existent néanmoins.

Après l’arrêt du tabac, l’arrêt de la vape ?

Beaucoup de nos clients vont ensuite arrêter la vape, dans un délai que j’estime entre un et deux ans. L’estimation de la proportion est difficile à établir, mais probablement supérieure à 50% d’après mes observations. D’autres décident de ne pas arrêter et se stabilisent à des taux de nicotine très variables. J’ai des clients depuis 5 ans et demi ! Ils sont chez eux dans nos boutiques ! Beaucoup de liens se créent. Symboliquement, nous les avons délivrés d’un fléau. Ils ont conscience de la non nocivité de la vape et continuent à vaper par peur de reprendre la cigarette ou par plaisir pur. Ils utilisent parfois des liquides sans nicotine, mais pas toujours.

Cela peut paraître secondaire mais un point fondamental est le cadre de l’accueil : à chacun de définir celui qui correspond à l’esprit de sa boutique et de sa marque, mais ce cadre doit être fort pour que les personnes qui entrent dans la boutique s’y sentent bien. Offrir un cadre où chacun se sente bien, c’est un gros challenge !