Le Pr Reto Auer et la Dre Isabelle Jacot Sadowski ont répondu aux questions de SOVAPE sur la plus grande étude à ce jour sur le sujet. Résultat principal : par rapport au groupe témoin, les utilisateurs de vape ont été 77 % de plus à arrêter de fumer durant six mois.
Les premiers résultats de l’essai clinique ESTxENDS viennent d’être publiés par la revue New England Journal of Medicine (NEJM) [1]. L’étude, dont l’acronyme en anglais est Efficacy, Safety and Toxicology of Electronic Nicotine Delivery Systems (efficacité, sécurité et toxicologie de la vape), a enrôlé 1246 personnes fumant 5 cigarettes de tabac ou plus par jour et volontaires pour arrêter de fumer dans cinq villes suisses.
La moitié des participants ont reçu un kit de vape et des e-liquides, à choisir parmi 6 arômes en 4 dosages de nicotine (0, 6, 12 ou 20 mg/ml), et des séances d’accompagnement, tandis que ceux du groupe témoin ont reçu le même accompagnement et un bon d’achat de 50 fs, qu’ils pouvaient utiliser pour acheter des substituts nicotiniques en pharmacie.
Au terme de la première phase, les participants utilisant la vape étaient 1,77 fois plus à avoir arrêté de fumer depuis six mois : 28,9 % du groupe « vape » contre 16,3 % dans le groupe témoin (OR 1,77 ; IC 95 de 1,43 à 2,20). L’écart est d’un ordre de grandeur similaire aux précédents essais cliniques analysés par Cochrane [2].
Soutenu par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique (FNRS) et d’autres financements indépendants, l’essai clinique a été lancé en 2018 par un groupe de chercheuses et chercheurs coordonné par Reto Auer, à la fois professeur de médecine et médecin de famille actif à l’Université de Berne et à Unisanté à Lausanne, dont la Dre Isabelle Jacot Sadowski, responsable de l’unité tabacologie d’Unisanté Lausanne.
Les deux chercheurs, qui ne présentent aucun conflit d’intérêts avec aucune des industries liées financièrement au domaine, ont bien voulu répondre aux questions de SOVAPE à propos des résultats de l’étude, de ses conditions et d’aspects particuliers qui seront traités dans de prochaines publications.
Le NEJM a publié les premières données de votre essai clinique sur l’efficacité du vapotage pour arrêter de fumer. Quelle solidité peut-on accorder à ces résultats ?
Reto Auer (RA) : Il s’agit de la plus grande étude à cette date publiée sur le sujet et l’étude avec le plus grand taux de suivi après six mois de suivi (plus de 90%). Nous sommes immensément reconnaissant.e.s aux participant.e.s qui ont répondu en nombre et qui ont compris l’importance de répondre à nos questions après 6 mois de suivi. Cependant, aucune étude, aussi grande et aussi bien conduite soit-elle, ne devrait être seule à même de répondre à la question de la solidité des résultats. C’est la compilation des données comme celle de la revue Cochrane qui permet le mieux d’estimer le degré de preuves d’efficacité de la vape pour l’arrêt du tabac. Près d’une centaine d’études ont déjà été conduites sur le sujet et les résultats d’ESTxENDS confirment cette efficacité.
Une donnée secondaire de l’étude montre que durant la dernière semaine avant le contrôle à six mois, une part plus élevée du groupe témoin (33,7 %) que dans le groupe « vapotage » (20,1 %) s’est abstenu de produits nicotinés (tabac, vape ou substituts pharmaceutiques). Les médias ont beaucoup insisté sur ce point, de manière un peu troublante. Quelle est la signification d’un point de vue sanitaire, ou en termes de chances d’arrêt tabagique pérenne, d’une abstinence de produits nicotinés sur une semaine ?
Isabelle Jacot Sadowski (IJS) : Les médias n’ont pas seulement repris l’information au sujet de l’arrêt du tabac, mais aussi au sujet de l’arrêt de la nicotine. Cette information figurait dans le communiqué de presse. Nous pensons important que les personnes qui envisagent d’utiliser la cigarette électronique pour une tentative d’arrêt du tabac en soient informées. Le vapotage semble plus efficace que les substituts nicotiniques pour arrêter de fumer, probablement car il permet une meilleure substitution en nicotine. Ce qui explique aussi une poursuite de la consommation. Certains de nos patient.e.s veulent arrêter de fumer et ne voient pas de problème à continuer à consommer de la nicotine et à vapoter. Pour ces personnes qui souvent ne sont pas parvenues à arrêter de fumer avec les traitements pharmacologiques, le vapotage est une bonne option.
En revanche, nous avons aussi des patient.e.s qui désirent arrêter de fumer ET rapidement ne plus consommer de nicotine ou vapoter. Pour ces personnes, nous recommandons les traitements classiques d’aide à l’arrêt du tabac tels que substituts nicotiniques, le bupropion ou parfois la cytisine qui sont plus appropriés. Nous les informons que ce sont le tabac et la fumée qui sont responsables des risques majeurs pour la santé de la consommation de cigarettes et que le principal effet de la nicotine est d’engendrer une forte dépendance. Ce qui est clair, c’est que l’arrêt complet du tabac est l’objectif dans les conseils. Le vapotage peut être une étape avant l’arrêt complet de la consommation de nicotine, lorsque l’arrêt du tabac est consolidé, il est conseillé de cesser le vapotage dans un deuxième temps. La considération des valeurs et préférences des patients.e.s est importante pour les aider à prendre une décision au sujet de la méthode d’arrêt.
L’étude continue avec un suivi à 1, 2 et 5 ans, ce qui nous donnera d’avantage d’informations sur l’effet de la poursuite de la consommation de nicotine à 6 mois sur les chances d’arrêt tabagique à plus long terme.
Dans les données concernant les effets sanitaires, on peut noter une différence en faveur du groupe « vapotage » par rapport au groupe témoin au test sur la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). L’écart est statistiquement significatif, mais médicalement quelle est son importance ?
IJS : Il s’agit d’un résultat secondaire et bien que statistiquement significatif, il faut être prudent avec ces résultats. Ces résultats vont dans le même sens que d’autres études, l’arrêt du tabac amène à une amélioration de la fonction respiratoire. Toute amélioration dans ces symptômes est un signe que le passage du tabagisme au vapotage pourrait être bénéfique pour la santé pulmonaire.
Au moment de la conception de l’étude, vous aviez contacté Helvetic Vape, l’association des vapoteurs en Suisse. Quelles motivations, et peut-être quelles craintes, aviez-vous en prenant cette initiative ?
RA : Nous sommes immensément reconnaissant.e.s que des membres d’Helvetic Vape aient accepté notre invitation. L’implication des personnes visées par les interventions de santé est essentielle. En médecine, on ne pose pas assez souvent la question aux patient.e.s « Que voulez-vous ? ». On développe souvent nos interventions dans notre coin, sans demander l’avis des expert.e.s. Or les expert.e.s dans le domaine de la vape sont… les personnes qui vapent ! A l’époque les instances de financement ne demandaient pas aux chercheurs de s’assurer que l’intervention soient en accord avec les personnes visées par l’étude. Cela a changé. Depuis lors, nous intégrons systématiquement des patient.e.s dans nos projets de recherche, de la conception à la publication et pouvons recevoir des financements pour compenser le travail des personnes interrogées.
Les craintes étaient qu’on ait beaucoup à changer dans notre protocole de recherche. C’était aussi ce que nous étions prêt à faire. Nous avons été gâtés ! Plein de commentaires très pertinents. Par exemple, la multitude d’e-liquides proposés dans ESTxENDS (24) est due à votre input. Vous nous avez fait comprendre l’importance du choix dans les arômes et concentrations de nicotine pour le succès de la vape. Ça a été un sacré challenge à mettre en place. Imaginez : des stocks de 24 e-liquides différents à gérer dans 5 centres d’étude. Un énorme travail, qui en a mille fois valu la peine je crois.
Dans l’éclairant éditorial qui accompagne la publication de l’étude [3], la Pr Nancy Rigotti estime que la science a atteint un « point de bascule ». Désormais, les meilleures conditions d’efficacité du vapotage pour l’arrêt tabagique devraient être au centre des recherches. Quelle pistes émergent de votre étude ?
IJS : L’éditorial souligne la nécessité d’un changement de cap à l’international. En Suisse, un consensus d’expert.e.s recommandait déjà en 2015 de considérer le vapotage pour les personnes ne désirant pas les produits pharmacologiques d’aide à l’arrêt du tabac. L’enjeu pour les soignant.e.s est moins SI il faut recommander les vaporettes, mais plutôt lesquelles et comment. C’est un travail qui doit se poursuivre.
D’autres recherches sont en cours autour de votre essai clinique, notamment de toxicologie, des analyses poussées sur le système respiratoire des participants, des liens entre consommation et dépression, une poursuite du suivi sur cinq ans, etc. Quels sont les enjeux prédominants de ces futures publications ?
RA et IJS : Nous sommes très reconnaissant.e.s aux participant.e.s d’avoir accepté de répondre aux nombreux autres questionnaires de l’étude ESTxENDS, d’avoir accepté de donner des urines pour des analyses toxicologiques, de se faire mesurer le tour de taille, le poids, la tension artérielle, de donner du sang pour des analyses du cholestérol, etc. Un groupe de jeunes chercheuses et chercheurs travaillent depuis 2-3 ans sur ces analyses secondaires. L’enjeu principal pour nous est de préparer la relève en recherche. Nous espérons que nombre d’entre elles.eux continuent à étudier les vaporettes et d’autres méthodes pour mieux aider les personnes qui fument à arrêter de fumer.
Y a-t-il quelque chose que vous voudriez ajouter ?
IJS : Le vapotage est un sujet controversé. L’attirance des jeunes pour les vaporettes, notamment pour les modèles jetables, contribue beaucoup à la controverse. Si l’on considère les personnes non-fumeuses, en particulier les jeunes, le message est clair : il n’y a pas lieu d’inciter les jeunes dans la consommation de vaporettes et de cigarettes par la publicité, permise encore en Suisse.
RA : Pour les personnes qui fument, nous sommes pour un discours et des échanges respectueux des faits scientifiques et aussi des valeurs. Si la question de la réduction du risque des vaporettes comparé aux cigarettes est un discours factuel et médical, la question de la dépendance est et sera toujours un discours au sujet des valeurs. Certaines personnes aimeraient vivre dans un monde sans addictions, d’autres ne voient pas de problème si un grand nombre de personnes développe un comportement addictif avec la nicotine. Il n’est pas à nous de juger qui a raison sur ce point.
Parler de ces valeurs est important car ces valeurs teintent la lecture des résultats. Certains y voient la preuve de l’échec des vaporettes car les personnes restent dépendantes à la nicotine, d’autres voient un succès car plus arrêtent de fumer. Sur le plan médical et de santé, la réponse est claire, mieux vaut arrêter de fumer. Sur le plan des valeurs, chacun doit décider pour soi-même. Et on l’espère, laisser les personnes qui fument décider pour elles-mêmes.
Merci beaucoup !
Références
[1] Electronic Nicotine-Delivery Systems for Smoking Cessation : Reto Auer, M.D., Anna Schoeni, Ph.D., Jean‑Paul Humair, M.D., M.P.H., Isabelle Jacot‑Sadowski, M.D., Ivan Berlin, M.D., Ph.D., Mirah J. Stuber, M.D., Moa Lina Haller, M.D., Rodrigo Casagrande Tango, M.D., M.P.H., Anja Frei, Ph.D., Alexandra Strassmann, Ph.D., Philip Bruggmann, M.D., Florent Baty, Ph.D., Martin Brutsche, M.D., Ph.D., Kali Tal, Ph.D., Stéphanie Baggio, Ph.D., Julian Jakob, M.D., Nicolas Sambiagio, Ph.D., Nancy B. Hopf, Ph.D., Martin Feller, M.D., Nicolas Rodondi, M.D., and Aurélie Berthet, Ph.D. ; in New England Journal of Medicine, 2024, 390:601-10. https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2308815
[2] Lindson N, Butler AR, McRobbie H, Bullen C, Hajek P, Begh R, Theodoulou A, Notley C, Rigotti NA, Turner T, Livingstone-Banks J, Morris T, Hartmann-Boyce J. Electronic cigarettes for smoking cessation. Cochrane Database of Systematic Reviews 2024, Issue 1. Art. No.: CD010216. DOI: 10.1002/14651858.CD010216.pub8.
[3] Nancy Rigotti, M.D. : Electronic Cigarettes for Smoking Cessation, Have We Reached a Tipping Point? ; New England Journal of Medicine, 2024, 390. DOI: 10.1056/NEJMe2314977